Marseille, un terroir fragile entre terre et mer

Impossible de parler de biodiversité sans rappeler la spécificité du terroir marseillais. Niché entre le bleu profond de la Méditerranée et la blancheur des massifs de calcaire, il accueille une faune et une flore d’une grande richesse. Selon l’INPN (Inventaire National du Patrimoine Naturel), le pourtour marseillais, notamment dans le Parc National des Calanques, compte plus de 900 espèces végétales et près de 140 espèces d’oiseaux — record européen pour une zone si restreinte (INPN).

Durant la seconde moitié du XXe siècle, l’expansion urbaine et l’agriculture intensive (y compris la viticulture conventionnelle) ont fait peser de lourdes menaces sur cette biodiversité. Pesticides chimiques, labour profond, monoculture… Les sols s’appauvrissaient, la faune battait en retraite. Aujourd’hui, grâce au mouvement du vin naturel, la région tente de renouer avec une certaine harmonie entre culture de la vigne et préservation du vivant.

Le vin naturel, mode d’emploi : une viticulture pensée pour la vie

La viticulture naturelle va au-delà d’un simple « sans pesticides ». Elle fonctionne selon certaines convictions, parmi lesquelles :

  • Zéro intrant chimique : exit herbicides, insecticides et engrais de synthèse.
  • Respect du sol vivant : le sol n’est plus vu comme simple support, mais comme un écosystème à part entière.
  • Favoriser la diversité végétale et animale : haies, arbres, bandes fleuries, nichoirs…

Résultat : le vignoble redevient un véritable refuge pour les insectes auxiliaires, les oiseaux, les petits mammifères — et même pour des espèces endémiques menacées ailleurs.

Des pratiques concrètes pour une biodiversité retrouvée

Des sols vivants : la vie sous les pieds

Un sol sain, c’est le fondement d’une vigne en santé… mais aussi le royaume d’une biodiversité insoupçonnée. Les vignerons naturels marseillais adoptent des pratiques de non-labour ou de travail superficiel du sol. Pourquoi ? Parce que chaque pelletée perturbe un monde caché : vers de terre, champignons mycorhiziens, bactéries, coléoptères, etc. Le projet Agrinature, mené en Provence, a constaté que la présence de lombrics est 2 à 3 fois plus élevée dans les vignobles en bio ou en naturel que dans les vignes conventionnelles (Agrinature).

Des bandes fleuries pour attirer les alliés

Plutôt que de tout désherber, de nombreux domaines implantent des bandes fleuries entre les rangs de vignes. Cette pratique, appelée « enherbement », favorise l’installation d’insectes pollinisateurs et de prédateurs naturels des ravageurs (coccinelles, syrphes…). Une étude menée par Institut Français de la Vigne et du Vin a montré qu’un enherbement bien géré pouvait accroître de 30 % la diversité des insectes auxiliaires. Côté visuel : c’est aussi un régal pour les yeux, et une signature de nombreux domaines naturels comme celui de la Domaine du Bouché à La Valentine ou de Clos Estello à Puyricard.

Les haies et arbres : corridors écologiques en action

Replanter des arbres et sauvegarder les haies en bordure de parcelles, ce n’est pas de la décoration bucolique. C’est vital pour la biodiversité locale, surtout à Marseille où le paysage viticole alterne zones urbanisées et espaces naturels. Les haies fournissent abri, nourriture et des espaces de reproduction pour oiseaux, chauves-souris et reptiles. Dans les Bouches-du-Rhône, l’Agence Française pour la Biodiversité indique que le retour à la haie peut multiplier par 2,5 la population d’oiseaux observés sur une année. Les exemples locaux ne manquent pas : au Domaine Arnaud de Villeneuve (proche d’Aubagne), les haies de romarin, lauriers et chênes verts servent à la fois de barrières naturelles… et de gardien du vivant.

La lutte biologique

Vive les coccinelles et les chrysopes ! Dans le vin naturel, on préfère l’action d’insectes amis à celle du chimique. Parfois, les vignerons marseillais installent même des hôtels à insectes près de leurs parcelles ou lâchent des insectes auxiliaires pour contrôler les pucerons, acariens et autres bestioles peu désirables. Leur action est soutenue par des parcours de moutons ou de poules qui désherbent « sur pattes » (source : France Bleu Environnement).

Des cépages oubliés pour sauver la diversité génétique

Le retour à des cépages locaux – souvent oubliés ou délaissés au nom du rendement – joue un rôle majeur dans le maintien de la biodiversité. On compte aujourd’hui une douzaine de cépages anciens remis à l’honneur autour de Marseille, comme le Bourboulenc, la Clairette ou le rare Tibouren. Préserver cette diversité génétique, c’est offrir une résilience accrue face aux maladies et au changement climatique (source : VigneVinSudEst).

  • Le Bourboulenc, cultivé à Cassis et dans l’arrière-pays, résiste particulièrement bien à la sécheresse.
  • Le Tibouren, typique de la Provence, confère aux vins des notes herbacées et iodées, parfaites pour exprimer le terroir méditerranéen.

Entre 2015 et 2022, le Syndicat des Vins de Provence a recensé une augmentation de 40 % des surfaces de cépages autochtones dans la région, portée en grande partie par la demande des Amateurs de vins naturels (Vins de Provence).

Des vignerons engagés dans la protection du vivant

Collaboration avec les reserves naturelles et associations

De nombreux domaines marseillais travaillent main dans la main avec le Parc National des Calanques, la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et des collectifs locaux comme Biodiv’Vigne. Objectif : cartographier les espèces présentes, installer des nichoirs à oiseaux ou à chauves-souris, et sensibiliser le grand public via des ateliers nature dans les vignes.

Chiffres et actions locales

  • En 2023, près de 68 % des domaines en vin naturel entre Marseille et Cassis ont participé à des programmes de suivis de la biodiversité (source : CIVP).
  • Plus de 70 nichoirs à chouettes hulottes installés par la LPO en partenariat avec les vignerons naturels des coteaux marseillais.
  • Plus de 2000 enfants de la région sensibilisés à la faune et la flore des vignes par des balades et ateliers chaque année.

Sens et limites : quand la vigne fait avec la nature, pas contre elle

Le vin naturel n’est pas parfait – loin d’être la réponse à tous les défis de l’agriculture, ici comme ailleurs. Les contraintes climatiques (sécheresse extrême, vents salins), la pression des maladies ou la difficulté à réintroduire certains cépages posent parfois question. Toutefois, le choix du respect de la biodiversité, même si parfois plus complexe et moins « rentable », est assumé. D’ailleurs, plusieurs domaines ouvrent aujourd’hui leurs portes à la recherche scientifique, permettant de mesurer dans le temps l’évolution des oiseaux, papillons, champignons, etc. Une approche partagée par des chercheurs du CNRS et de l’INRAE rassemblés à Marseille, dont les programmes ont pointé une hausse de 25 % du nombre d’espèces observées dans les vignes naturelles entre 2018 et 2022 (INRAE).

Quand la biodiversité façonne le goût — et l’avenir — du vin naturel

Derrière chaque grappe de Mourvèdre ou de Clairette dorée récoltée autour de Marseille, il y a toute une symphonie du vivant à l’œuvre. La biodiversité, loin d’être un simple mot à la mode, redonne du sens à la viticulture marseillaise : elle offre aux vignerons naturels la possibilité de composer avec leur terroir, et non contre lui. Un vin qui respecte la nature, c’est aussi un vin en harmonie avec la vie, le paysage… et la mémoire du lieu. Et pour les curieux, bouche et oreilles grandes ouvertes, une dégustation dans les vignes naturelles des environs de Marseille, c’est bien plus qu’une expérience gustative : c’est, à sa façon, une balade à la découverte d’un patrimoine vivant, vibrant, parfois fragile, mais prometteur.

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